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Turquie - Arménie: le rideau de fer ?

Turquie - Arménie: le rideau de fer ?

Enlisée dans un conflit avec l’Azerbaïdjan depuis vingt-cinq ans, l’Arménie reste coupée du monde. Un isolement dont les conséquences économiques se font sentir jusqu’à Kars, en territoire turc.

Au bout de la route D060 qui serpente sur les vastes plateaux de la région de Kars, dans l’extrême Est de la Turquie, un jeune soldat, retranché derrière de hauts sacs de sable pour se protéger du vent glacial, fait signe de rebrousser chemin. Impossible de s’approcher davantage du poste-frontière de Dogukapi. Encore moins de gagner la route M7 menant aux faubourgs de Gyumri, la deuxième ville d’Arménie, visible au loin. «Ici c’est le bout du monde, c’est toujours le Rideau de fer», ironise Ilhan, restaurateur de la petite bourgade d’Akyaka qui, jusqu’en 1991, marquait encore la frontière entre l’Arménie soviétique et la Turquie, membre de l’Otan. L’URSS n’est plus, mais barbelés et clôtures métalliques ont perduré. Et pour cause depuis avril 1993, la Turquie maintient fermés ses 380 kilomètres de frontière avec l’Arménie. Une décision prise à l’époque en soutien au régime ami et allié de l’Azerbaïdjan, en guerre de 1988 à 1994 contre des milices alliées à Erevan qui occupent 20 % du territoire azéri et notamment la région à majorité arménienne du Haut-Karabagh.

«La vie s’est arrêtée ici il y a vingt-cinq ans», déplore Ilhan, tout en listant les magasins et institutions fermés depuis. Bon nombre d’habitants de la ville ont également décidé de partir. Presque de quoi faire regretter à certains le temps de la guerre froide. «Même si la situation était compliquée à cette époque, il y avait quand même beaucoup de passages de marchandises et de personnes, notamment par la ligne de chemin de fer qui passe par la ville et relie les deux pays», se rappelle le commerçant. Et d’ironiser : «Aujourd’hui, tout ce que me rapporte cette frontière, c’est quelques centaines de livres turques quand les militaires russes viennent manger dans mon restaurant pour rencontrer leurs homologues turcs.»

Malgré la chute du bloc soviétique, l’influence de Moscou dans la région a perduré, incarnée ici par quelque 5 000 soldats russes assurant la protection des frontières et de l’espace aérien arménien, en accord avec le gouvernement d’Erevan. Une présence qui inquiète pourtant certains habitants de la région. «Régulièrement, je vois des paysans arméniens qui travaillent leurs champs de l’autre côté. On aimerait bien se saluer, pouvoir se parler. Mais c’est impossible, les Russes ne plaisantent pas ici», sourit Kadri. Cet agriculteur d’Akyaka rappelle qu’en 2013, un berger turc, en cherchant à récupérer l’une de ses bêtes, était abattu par les gardes-frontières.

Comme bien d’autres habitants, dans les années 2000, Kadri a cru voir ce verrou historique sur le point de tomber. Certains hommes d’affaires bien optimistes ont même commencé à acheter des terres dans les environs, pensant y construire hôtels et restaurants pour accueillir les futurs visiteurs. A Kars, la capitale de la province - parmi les moins développées de Turquie - cet élan d’optimisme est alors incarné par un élu du Parti de la justice et du développement (AKP), la formation islamo-conservatrice de Recep Tayyip Erdogan : Naif Alibeyoglu. Lassé de voir sa ville «punie» par l’impasse diplomatique, ce maire (1999-2009) a multiplié initiatives économiques locales, projets culturels et partenariats avec l’Arménie et notamment Gyumri, à moins de 70 kilomètres de sa municipalité. Symbole de sa politique d’ouverture : en 2006, le Monument à l’humanité, un édifice de 30 mètres est érigé sur les hauteurs de la ville. Son auteur, le sculpteur Mehmet Aksoy, voulait alors faire de ces deux silhouettes de béton, l’une tendant la main vers l’autre, un appel au rapprochement entre «voisins ennemis».

Sur la scène internationale aussi, on sent poindre le dégel malgré la question de la reconnaissance du génocide de plus d’un million d’Arméniens au début du XXe siècle sous l’Empire ottoman qui envenime encore les relations entre les deux nations. Le 24 avril, jour de commémoration internationale, est d’ailleurs l’occasion de vifs débats en Turquie où le gouvernement AKP se refuse toujours à toute reconnaissance de la «Grande Catastrophe». En dépit d’une timide ouverture incarnée, en 2008, par la «diplomatie du football». Le président turc, Abdullah Gül, et son homologue arménien, Serge Sarkissian, prennent de court leurs opinions publiques respectives et décident d’assister ensemble à des matchs de football entre les deux sélections nationales à Erevan puis à Bursa, en Turquie. L’année suivante, en 2009, soutenus par Moscou et Washington, les gouvernements turc et arménien signent les protocoles de Zurich, initiant la mise en place de relations diplomatiques et l’ouverture de la frontière. Un espoir bien fugace : sous la pression de l’opposition nationaliste contre Sarkissian, d’un côté, et surtout le chantage diplomatique de l’Azerbaïdjan - inquiet de ce réchauffement des relations - contre son allié, de l’autre, les protocoles ne sont jamais votés par les deux parlements. Erdogan, alors Premier ministre, conditionnant l’ouverture de la frontière à la résolution du conflit au Haut-Karabagh. Faute d’avancée, les protocoles sont officiellement enterrés par Erevan le 1er mars dernier.

Dans la province de Kars, le Monument à l’humanité ne résistera pas à ce coup de frein diplomatique. En campagne dans la ville en 2011, le Premier ministre Erdogan, alors en quête des voix des électeurs nationalistes locaux et notamment de la communauté azérie (20 % de la population de la province), compare l’œuvre d’art à une «monstruosité» et appelle à sa démolition. Avec l’aval du tribunal, la sculpture de Mehmet Aksoy est démontée, ne laissant qu’un piédestal chauve surplombant la ville. «Aujourd’hui, il n’y a plus de projet entre la région et ses voisins», soupire Alican Alibeyoglu, frère de l’ancien maire et patron du média local Serhat. Terminé également, son programme télévisuel commun avec Vanadzor (3e ville d’Arménie) pour «partager la culture, la nourriture, la danse de la région», poursuit le gaillard, assis derrière son bureau. Pour Alican, si une majorité de la population de la région souhaite la réouverture de la frontière, «les gens n’osent cependant pas s’opposer à la politique nationale du gouvernement, ils ont peur de parler à voix haute. En attendant il n’y a que Kars qui pâtit de la situation. On a une forme d’embargo sur la région». Mais si cette province orientale de la Turquie souffre d’un sous-développement économique et d’un exode massif de sa jeunesse, les perspectives commerciales avec l’Arménie voisine ne sont pas nulles pour le reste du pays, bien au contraire.

Turquie - Arménie: le rideau de fer ?

«Chaque année, il y a 300 millions de dollars [environ 245 millions d’euros, ndlr] d’échanges entre les deux pays. Là-dedans, Kars ne représente que 1 %», analyse Noyan Soyak, un entrepreneur d’Istanbul qui, en 1997, a cofondé le Conseil de développement du commerce arméno-turc (TABDC). Pour atteindre ces chiffres, il a fallu se jouer de cette frontière hermétique : «Les échanges commerciaux transitent via la Géorgie et l’Iran. Il y a aussi quatre vols par semaine entre Istanbul et Erevan.» Pour Noyan, l’ouverture de la frontière serait plus que bénéfique pour les régions limitrophes. L’une des mannes, selon lui : le tourisme. «Côté turc, il y a des sites historiques importants pour les Arméniens, comme l’ancienne cité d’Ani, située juste sur la frontière. Mais, pour y aller en bus, il leur faut treize heures Aujourd’hui, la situation ne prête guère à l’optimisme : la question de la frontière arméno-turque est reléguée dans les tréfonds des priorités diplomatiques d’un président Erdogan au discours toujours plus nationaliste et obnubilé par le dossier syrien. Mais Noyan Soyak croit encore fermement à un avenir commun entre les deux pays. «Si la frontière est ouverte, cela pourrait amener ensuite l’Arménie et l’Azerbaïdjan à en faire de même, créant ainsi une route reliant l’Asie à l’Europe», avance-t-il.

«Quand l’Arménie rendra les territoires occupés à l’Azerbaïdjan, nous changerons de politique envers eux», tranche sèchement Adem Calkin, dirigeant local de l’AKP. Ici, on ne transige pas avec la politique du président Erdogan. A Ankara comme à Kars, personne ne souhaite froisser le régime d’Azerbaidjan qui entend faire plier l’Arménie par un blocus diplomatique et géographique déjà vieux d’un quart de siècle. «La frontière ne pouvant être ouverte, on a donc contourné l’Arménie avec des projets comme avec le train Bakou-Tbilissi-Kars, inauguré cette année», rappelle Fahri Ötegen, le président de la chambre de commerce locale. Et de mettre en lumière d’autres infrastructures évitant le territoire arménien, à l’instar de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (ville turque près de la côte méditerranéenne) ou encore le gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzurum. Pour l’homme d’affaires, les enjeux économiques turco-azéris priment : «L’Arménie est un petit pays, peu développé. Alors qu’avec l’Azerbaïdjan, notre volume d’échanges pèse plusieurs milliards de dollars. En tant que businessman, vous avez des priorités.»

Pourtant, côté arménien, les esprits sont prêts, promet Artusha Mkrtchyan, créateur du «Centre caucasien pour la proposition de méthodes de résolution des conflits non conventionnels». «En Arménie, les anciennes générations ont toujours peur des Turcs, en lien avec ce qu’il s’est passé dans l’histoire. Mais les nouvelles générations, elles, ont envie de créer des liens, notamment économiques», avance-t-il. Selon lui le véritable frein se trouve à Ankara : «Il doit y avoir un changement de la politique turque envers l’Azerbaïdjan et un retour vers les valeurs démocratiques. Je pense donc qu’il ne peut y avoir de changement tant que Recep Tayyip Erdogan est au pouvoir.»

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