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8 Janvier 2017
Avec 46 milliards de dollars d’investissements, surtout chinois, le port de Gwadar est promis à un brillant avenir. Déjà les prix de l’immobilier s’envolent dans cette région pauvre et instable du Pakistan.
Le Baloutchistan, la plus pauvre des provinces du Pakistan, compte bien décoller grâce à un méga-projet d’investissement chinois. C’est du moins ce qu’espère l’ex-chef insurgé Hazar Khan, qui a jeté ses armes aux orties, dans l’espoir d’un bon emploi. Hazar Khan a passé 15 années de sa vie à lutter pour l’indépendance du Baloutchistan, une vaste étendue désertique et montagneuse qui jouxte l’Iran et l’Afghanistan et compose tout le coin sud-ouest du Pakistan.
Mais cette page est désormais tournée. «Nous avons passé notre vie dans les montagnes (à faire la guérilla) mais à présent nous voulons que nos enfants reçoivent de l’instruction et aient une vie meilleure», explique-t-il à l’AFP, précisant que toute sa famille a accepté de le suivre. Le Baloutchistan est en proie depuis des années à une insurrection séparatiste et des violences confessionnelles qui en ont fait l’une des zones les plus instables et dangereuses du Pakistan, le rendant pratiquement inaccessible pour les voyageurs. Plus de la moitié de ses 8,5 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté.
Un ambitieux projet visant à faciliter l’accès de la Chine au Moyen-Orient, à l’Afrique et à l’Europe pourrait totalement changer la donne. Cette liaison routière, énergétique et de télécommunications traverserait de bout en bout le Pakistan, rendant nécessaire la stabilité du Baloutchistan, où débouche l’infrastructure. Ce projet, appelé couloir économique sino-pakistanais (CPEC), représente 46 milliards de dollars d’investissements, essentiellement apportés par Pékin. Lancé en grande pompe il y a un an, lors d’une visite du président chinois en avril 2015, il devrait engendrer des travaux colossaux sur des années notamment une autoroute de 2.000 km - déjà en construction - courant de la frontière chinoise, dans le nord-est, jusqu’au port de Gwadar.
Gwadar, jusqu’ici un petit port de pêche baloutche assoupi au bord de la mer d’Arabie, est ainsi promis à un avenir de «futur Dubaï». Conséquence: les prix de l’immobilier de Gwadar et ceux de la capitale provinciale Quetta s’envolent déjà. Des entrepreneurs se jettent à l’eau, espérant profiter de la dynamique créée par les Chinois. «Nous avons rétabli la paix dans 95% du Baloutchistan», affirme Akbar Durrani, secrétaire d’État à l’Intérieur de la province.
Le projet sino-pakistanais n’a pas échappé pour autant aux problèmes de sécurité avec plusieurs attentats commis contre des ingénieurs chinois, des gazoducs ou des voies ferrées. Mais malgré ces difficultés, la Chine se déclare confiante. «Je pense que la situation sécuritaire s’est beaucoup améliorée», a déclaré l’ambassadeur chinois par intérim Zhao Lijian lors d’une conférence à Gwadar en avril, saluant le travail de l’armée. À long terme, les experts estiment cependant que la stabilité de la région et le succès du corridor dépendront beaucoup de la capacité du gouvernement à faire bénéficier concrètement la population baloutche du projet. Le port pakistanais de Gwadar devient une zone économique spéciale gérée par une compagnie chinoise. Un atout stratégique pour l’importation de pétrole par la Chine. La cession de Gwadar aux Chinois consacre en tout cas une accélération d'un mouvement plus global acheminant Pékin au bord de la mer d'Arabie et, au-delà, vers l'Océan indien. L'Inde ne cache pas sa préoccupation de voir la Chine prendre ainsi pied en sa zone d'influence naturelle. Réagissant à l'annonce de ce transfert, le ministre indien de la défense, A. K. Antony, a admis que cette évolution constituait pour New Delhi un "sujet d'inquiétude".
Cela fait des années déjà que Pékin courtise avec assiduité les Etats situés dans le voisinage de l'Inde. Du Pakistan (vieil allié historique) à la Birmanie en passant par les Seychelles, le Sri Lanka et le Bangladesh, les Chinois bâtissent des infrastructures portuaires civiles et commerciales. Les experts ont baptisé "collier de perles" un tel serpentin de positions chinoises enroulant l'Inde. De facto, les lignes de force dans cet Océan indien que traversent les routes maritimes reliant le Golfe persique et l'Asie orientale s'en trouvent redessinées. New Delhi semble sur la défensive. "Ce qui est étonnant, c'est le rôle déclinant de l'Inde et la rapidité avec laquelle New Delhi a cédé de l'espace stratégique à Pékin dans cette région traditionnellement considérée comme la périphérie de l'Inde", déplorait, dans un article du Business Standard du 27 décembre 2012, Harsh V. Pant, expert indien rattaché à King's College de Londres.
Quels sont les mobiles de Pékin dans cette descente vers l'Asie du Sud ? Pour l'heure, la dimension militaire de cette projection est inexistante. Le port de Gwadar – comme celui d'Hambatota au Sri-Lanka – est purement commercial. Au lendemain du raid anti-Ben Laden en mai 2011, le ministre pakistanais de la défense Ahmed Mukhtar avait évoqué la possibilité de transformer Gwadar en base navale militaire.
Les Chinois l'avaient rabroué sèchement, affirmant qu'il n'en était pas question. L'incident révélait en fait davantage l'état d'esprit des Pakistanais – offrir aux Chinois des positions stratégiques sur leur sol – qu'il ne dévoilait un véritable projet chinois, en tout cas dans le court ou moyen terme. A New Delhi, certains experts appellent à garder la tête froide face à la suspicion entourant le contrôle chinois de Gwadar et, au-delà, le tricotage du fameux "collier de perles".
"La motivation chinoise est avant tout d'apprendre à construire des ports commerciaux en milieu difficile, explique au Monde Jabin Jacob, chercheur à l'Institute of Chinese Studies (ICS) de New Delhi. C'est l'apprentissage d'un "business". Pour Gwadar comme pour le "collier de perles", je pense qu'il faut relativiser et ne pas verser dans la paranoïa de certains milieux qui cherchent à justifier ainsi leurs appels à accroître les dépenses militaires."
Le son de cloche est identique chez Kamlesh Kumar Agnihotri, un expert naval qui avait écrit une note remarquée en 2010 pour la National Maritime Foundation (NMF) de New Delhi. M. Agnihotri y relevait qu'une base navale chinoise au Pakistan "serait trop proche de l'Inde et se situerait dans le rayon de la surveillance navale indienne et à portée de frappe". "En outre, elle serait exposée à un blocus comme celui qu'a connu le port de Karachi lors de la guerre indo-pakistanaise de 1971".
Pour M. Agnihotri, si les Chinois décident un jour d'installer une base navale dans l'Océan indien, ils le feront bien plus loin au sud : par exemple dans un micro-Etat comme les Seychelles, dont l'atout est de se situer "à l'écart des regards indiscrets et de la surveillance intrusive de la marine indienne". Si le mobile militaire n'est pas d'une actualité immédiate – il le deviendra peut-être un jour – la motivation énergétique est, elle, évidente.
Les Chinois cherchent à s'affranchir du "dilemme de Malacca", expression en vogue à Pékin exprimant l'inquiétude que près de 60% du pétrole importé par la Chine transite par ce détroit de Malacca contrôlé par des puissances potentiellement hostiles. L'angoisse de Pékin est qu'en cas de crise militaire (Taïwan, mer de Chine méridionale…), ce robinet pétrolier soit coupé par les Etats-Unis ou l'Inde.Afin de soulager ce risque, la Chine cherche à convoyer partiellement ses hydrocarbures sur des segments continentaux sud-nord. De la même manière que le port de Sittwe (Birmanie) sera le point de départ d'oléoducs ou gazoducs destinés à Kunming dans la province chinoise du Yunnan, le port de Gwadar remplira cette fonction vers Kashgar dans le Xinjiang chinois.
Le circuit d'acheminement du gaz et du pétrole empruntera la fameuse route du Karakorum (ou Karakoram Highway) qui traverse l'Himalaya. Un tel raccourci – par ailleurs exposé aux aléas de la haute montagne – ne suffira toutefois pas à libérer Pékin du "dilemme de Malacca".
Selon un analyste indien à New Delhi s'exprimant sous le sceau de l'anonymat, le segment Gwadar-Kashgar ne devrait alléger la vulnérabilité de Pékin qu'à hauteur "de 5 à 7% de son pétrole transitant par l'océan indien". "La dépendance chinoise à l'égard des routes maritimes continuera d'exister dans une large proportion", souligne-t-il. Quoi qu'il en soit, les ambitions de Pékin autour de Gwadar précipitent déjà des réalignements dans le paysage géopolitique de cette région logée au carrefour de l'Asie du sud, du Moyen-Orient et de l'Asie centrale. L'Inde réagit en renforçant sa coopération avec Téhéran autour du port iranien de Chabahar. L'idée est d'offrir à l'Afghanistan – qui souffre d'enclavement continental – un débouché maritime. Les Indiens travaillent à un projet de 900 km de liaison ferroviaire reliant Chabahar à Hajigak (province afghane de Bamiyan), où un consortium de compagnies indiennes a remporté un contrat d'exploitation d'une mine de fer.
Si cet accès devait devenir opérationnel, il modifierait sensiblement l'environnement stratégique de l'Afghanistan dont l'économie était jusque-là l'otage du transit commercial par le Pakistan. La dépendance de Kaboul à l'égard du port de Karachi s'en trouverait diminuée, renforçant du coup la main de l'Inde. Un tel scénario se heurte toutefois à un obstacle majeur : l'hostilité de Washington à un rôle croissant de l'Iran en Afghanistan. Sur ce point, l'Inde ne peut vraiment se permettre de braver les Etats-Unis dont elle a par ailleurs besoin pour contenir la Chine. Gwadar, ou le miroir du nouveau "Grand Jeu" en train de se déployer dans cette région du monde.
Le port pakistanais de Gwadar a été officiellement placé sous le contrôle d’une entreprise chinoise le 11 novembre, ce qui permettra à la Chine de mieux contrôler le transport de pétrole, relate le South China Morning Post.
La province pakistanaise du Baloutchistan cède à la société Chinese Overseas Ports la gestion d’une zone de 923 hectares pour une période de quarante-trois ans. Le port en eau profonde, proche du détroit d’Ormuz, sera ultérieurement relié par chemin de fer au Xinjiang, région autonome de l’ouest de la Chine. Cette opération fait partie d’un vaste schéma pour mettre en place un corridor économique Chine-Pakistan.
La Chine est le plus grand importateur de pétrole brut du monde ; 80 % de ses importations proviennent du Moyen-Orient.
La liaison terrestre permettra alors à la Chine d’être moins dépendante des routes maritimes passant par le détroit de Malacca pour ses importations de pétrole. Elle réduira également fortement les coûts de transport. Néanmoins, selon un analyste cité par le quotidien hongkongais, les problèmes de sécurité au Pakistan rendent la route terrestre vulnérable au terrorisme.