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Kaboul ou la chute de Saïgon ?

Kaboul ou la chute de Saïgon ?

La nuit, les souvenirs que Don Nicholas garde des combats au Vietnam et en Afghanistan se fondent en un seul et même rêve. Le vert informe de la jungle sud-asiatique et le brun des montagnes de l’Hindou Kouch se superposent et virent au noir, jusqu’à ce que les cris de l’ancien combattant réveillent sa femme.

M. Nicholas est un profil rare dans l’armée américaine. Garde de sécurité de l’ambassade des Etats-Unis à Saïgon au moment de la chute de la capitale vietnamienne en 1975, l’ancien Marine a combattu plusieurs décennies plus tard comme fantassin en Afghanistan, où il patrouillait dans les montagnes.

Le président Biden a annoncé ce mois-ci le prochain retrait des troupes américaines d’Afghanistan, tout comme le président Nixon les avaient rappelées du Vietnam en 1973. Plusieurs générations d’anciens combattants se retrouvent ainsi dans la situation ambiguë de rentrer au pays après avoir livré un combat qu’ils n’ont pas gagné.

Les anciens combattants d’Afghanistan sont nombreux à se féliciter du retrait des troupes américaines, la guerre ayant déjà fait un grand nombre de victimes dans leurs rangs. Dans le même temps, ils se demandent si le sang et l’argent versés l’ont été à bon escient, la guerre s’achevant sinon sur une défaite, en tout cas pas sur une victoire.

M. Nicholas vit depuis des années dans la frustration de ce sentiment partagé, ayant laissé derrière lui des alliés devant faire face aux conséquences d’un combat inachevé. « Il se produit aujourd’hui la même chose là-bas qu’hier au Vietnam, observe l’ancien combattant de 68 ans, qui vit à Green, dans l’Ohio. Ils diront qu’on a fait de grandes choses. Moi, je pense qu’on n’a rien accompli du tout. »

La guerre du Vietnam avait abîmé le tissu social américain bien davantage que ne l’a fait celle d’Afghanistan. A l’époque, les manifestations contre la guerre étaient monnaie courante, et donnaient parfois lieu à des violences. Au pic des combats, les Etats-Unis comptaient plus de 500 000 soldats au Vietnam – des appelés, en grande partie – mais seulement un peu plus de 100 000, tous volontaires, en Afghanistan. Plus de 58 000 Américains sont morts au combat au Vietnam, contre 2 448 en Afghanistan.

Les anciens combattants voient toutefois une ressemblance entre ces deux guerres contre-insurrectionnelles interminables, où la lueur promise de la victoire n’apparaît jamais au bout du tunnel.

« Il est difficile de ne pas établir de parallèle », estime Andrew MacNeil, ancien capitaine des Forces spéciales, qui est né dix ans après la chute de Saïgon et qualifie sa mission en Afghanistan en 2015-2016 d’effort « pour empêcher un embrasement ».

Les commandants des forces armées soulignent depuis longtemps qu’un retrait total des Etats-Unis pourrait entraîner l’effondrement du gouvernement afghan soutenu par Washington, le retour au pouvoir des Talibans (qui avaient hébergé Oussama Ben Laden, le chef d’Al-Qaida, dans les années 1990 et au début des années 2000) et des représailles contre ceux qui ont aidé les Américains.

Lors de l’annonce de sa décision, M. Biden a déclaré que la mission des Etats-Unis était de garantir que l’Afghanistan ne serve plus jamais de base à des attaques de militants contre l’Amérique. « Nous y sommes parvenus, a-t-il affirmé. Nous avons atteint cet objectif. » Le président a écarté l’idée d’un maintien prolongé des troupes visant à empêcher le retour des Talibans. « Quel serait alors le bon moment pour partir ? Dans un an ? Dans deux ans ? Dans dix ans ? »

Sa décision intervient vingt ans après les attentats du 11 Septembre, qui avaient déclenché l’invasion de l’Afghanistan menée par les Etats-Unis. Plus de deux millions de soldats américains au total y ont été déployés au cours de ces deux décennies de combats. Nombre d’entre eux y ont été envoyés plusieurs fois, et les plus jeunes n’étaient pas encore nés lorsque la guerre a commencé.

« On n’a vraiment pas l’impression d’avoir gagné », déplore Adam Spaw, ancien caporal du corps des Marines.

En 2009, M. Spaw a participé à la construction d’une base dans la province de Helmand – fief des Talibans – avant de contribuer à son démantèlement en 2012, au moment où le président Obama commençait à faire revenir les troupes qu’il avait envoyées sur place quelques années auparavant.

Un jour de printemps, M. Spaw patrouillait dans un pick-up de la police afghane à proximité de la frontière iranienne lorsqu’un kamikaze s’est fait exploser dans un nuage de fumée et d’éclats d’obus. M. Spaw, qui se trouvait à quelques dizaines de mètres, a subi un traumatisme crânien et souffert de stress post-traumatique.

Aujourd’hui âgé de 32 ans, il étudie les réseaux informatiques à l’Université technique d’Adams, dans le Wisconsin. Chaque jour, il arrive une heure au moins avant ses condisciples et inspecte le bâtiment pour s’assurer de l’absence de menace potentielle. Une fois dans la salle de classe, il choisit une place à distance de la porte. Il a décidé de s’accommoder de son état d’hypervigilance plutôt que de lutter contre.

Il se félicite que les Etats-Unis se retirent d’Afghanistan avant qu’une autre génération de jeunes Américains n’y soit envoyée. « Je ne supporterais pas de voir mon enfant partir pour une guerre que j’ai faite moi-même, dit-il. C’est terrible d’imaginer une chose pareille. »

Le jeune homme ne parvient toutefois pas à surmonter un sentiment d’inachevé. « Je pense que c’est ce qui me rapproche le plus des anciens combattants du Vietnam. Ce n’était pas une guerre qu’il était possible de gagner, à mon avis. Vous éliminiez un terroriste et deux autres naissaient dans la minute. »

L’ancien colonel Fred Dummar a servi trente ans dans l’armée, pour l’essentiel dans les Forces spéciales. Il a passé plus de quatre ans en Afghanistan avant de rentrer en 2015. Sa mission consistait, entre autres, à former des bataillons commando afghans, des soldats d’élite sur lesquels le gouvernement de Kaboul s’appuiera s’il doit combattre les Talibans.

Il y a quelques mois, alors qu’un retrait des forces américaines semblait de plus en plus probable, M. Dummar, 52 ans, a perdu le sommeil. Il passait ses nuits à regarder le plafond de sa maison d’Idaho Falls, rongé par la culpabilité et les regrets, se demandant s’il aurait pu en faire davantage – ou s’il devrait faire quelque chose à présent – pour ses camarades afghans bientôt seuls face à la menace.

Un médecin de l’hôpital des anciens combattants lui a prescrit des comprimés pour dormir. « C’est une blessure qui va rester ouverte pendant un moment, déclare M. Dummar. Il ne s’agit pas seulement des pertes que nous avons subies. C’est aussi celles que nous continuerons de déplorer, d’amis et de frères que nous avons laissés derrière nous. »

Rétrospectivement, il pense que les Etats-Unis auraient dû se retirer après que les Navy Seals ont retrouvé et tué Oussama Ben Laden, qui se cachait au Pakistan, en 2011.

Selon une enquête menée en 2019 auprès d’environ 4 600 personnes par les Anciens combattants américains d’Irak et d’Afghanistan (un groupe d’anciens combattants de l’après-11 Septembre), 62 % des vétérans d’Afghanistan jugeaient que leur mission en valait totalement ou en partie la peine, contre 49 % des soldats revenus d’Irak.

Pour Tom Porter, vice-président exécutif du groupe, cet écart tient au lien direct entre l’Afghanistan et les attentats de 2001. L’opinion des anciens combattants pourrait évoluer si le gouvernement afghan soutenu par Washington s’effondrait, estime-t-il.

« Je pense que les vétérans réagiront très mal si le gouvernement afghan tombe, indique M. Porter, un ancien combattant de la marine qui a servi en Afghanistan. Ils se demanderont de nouveau si tout cela en valait bien la peine. »

Après avoir quitté la marine, M. Nicholas est rentré dans l’Ohio, s’est inscrit à l’université et est devenu podologue. La camaraderie propre à l’armée lui manquait cependant, et en 2004, à l’âge de 52 ans, il s’est enrôlé dans l’armée de réserve.

Il a rejoint une unité d’assistance psychologique, estimant qu’il aurait ainsi plus de chances d’être envoyé dans une zone de combat. Il a servi une fois en Irak et deux fois en Afghanistan, gravissant d’abruptes montagnes en compagnie de soldats de 40 ans ses cadets. Il a fêté ses 60 ans peu après être rentré chez lui.

M. Porter se souvient d’avoir rencontré, alors qu’il déambulait dans un aéroport à l’issue de sa seconde mission en Afghanistan, une femme aux cheveux gris portant une robe fluide qui lui rappelait la mode hippie des années 1960. Elle l’avait remercié pour son engagement et il s’était demandé avec un peu d’amertume si elle aurait fait preuve d’autant de gentillesse lorsque, jeune Marine, il avait été envoyé à Saïgon.

« Les gens ne veulent pas vraiment savoir ce que vous avez fait, note M. Nicholas. Ils font semblant. Je n’ai jamais compris cela. Ils me posent la question mais ne veulent pas entendre la réponse. C’est très courant aujourd’hui. »

Pour de nombreux vétérans, les civils sont aussi pressés d’oublier l’Afghanistan qu’ils l’étaient de tourner la page du Vietnam.

« J’ai l’impression que tout le monde s’en fiche et que personne n’y prête la moindre attention », déclare Dan Gholston, un ancien sergent des Forces spéciales qui a été envoyé dans la province d’Helmand, où la culture du pavot à opium finance les insurgés.

L’un de ses camarades a été abattu par un commando afghan passé à l’ennemi. Un autre a perdu ses deux jambes dans l’explosion d’une bombe cachée dans une cabane.

« On perd tellement d’amis là-bas et c’est difficile à justifier, estime M. Gholston, aujourd’hui âgé de 40 ans et agent de sécurité au département d’Etat. Cela n’a aucun sens. »

M. Gholston salue la décision de retirer les troupes américaines d’Afghanistan. « Pourquoi donc est-on resté là-bas après avoir retrouvé Oussama Ben Laden ? », s’interroge-t-il.

Aujourd’hui âgé de 42 ans, le lieutenant-colonel Josh Thiel a dirigé une opération des Forces spéciales contre des combattants de l’Etat islamique près de la frontière pakistanaise en 2018, une offensive qui, explique-t-il, avait permis de repousser les terroristes dans des montagnes reculées. M. Thiel pense à ces victoires locales lorsqu’il réfléchit aux coûts et aux résultats de la guerre.

« En 2001, le gouvernement afghan soutenait totalement et hébergeait des terroristes du monde entier, souligne-t-il. Je pense que nous avons mis fin à cela dans une certaine mesure. En tout cas, nous avons fait comprendre à certains pays ou régions du monde qu’on ne tolérera pas qu’ils soutiennent le terrorisme international. »

L’intervention américaine touchant à sa fin, M. Thiel se dit soulagé que onze de ses camarades afghans et leurs familles aient obtenu des visas pour s’installer aux Etats-Unis. Un officier afghan, qui était à la tête de 2 000 soldats, est heureux de travailler aujourd’hui comme agent de sécurité pour un concessionnaire automobile en Floride, raconte M. Thiel.

Kaboul ou la chute de Saïgon ?

Près de 17 000 anciens interprètes afghans et leurs familles attendent le traitement de leurs demandes de visa pour pouvoir immigrer aux Etats-Unis, selon No One Left Behind, une organisation à but non lucratif qui les soutient. En moyenne, deux traducteurs afghans ont été tués tous les mois depuis le début de l’année, selon l’association. Les Etats-Unis n’ont pas indiqué officiellement de quelle manière ils assureraient leur sécurité en cas de retour des Talibans. Le département d’Etat a toutefois déclaré être conscient du risque et déterminé à accélérer le traitement des demandes de visa.

M. MacNeil, l’ancien capitaine des Forces spéciales, affirme que certains soldats afghans avec qui il a combattu se préparaient à ce moment et ont toujours maintenu des contacts informels avec les Talibans, même lorsqu’ils se battaient contre eux. Les Afghans savaient que les Américains ne tiennent pas toujours leurs engagements, note le jeune homme de 36 ans, originaire de San Diego.

« On ne gagne jamais totalement leur confiance parce qu’ils savent qu’il suffit d’une décision pour qu’on s’en aille en les laissant seuls derrière nous. »

Ce type de décision, Ken Crouse en a vu les résultats lorsqu’il était jeune Marine à Saïgon en 1975. Comme M. Nicholas, il était employé au service de sécurité de l’ambassade américaine.

Les forces du nord du pays et les Viêt-Cong s’approchant de la ville, M. Crouse, alors caporal suppléant, avait reçu l’ordre de détruire les registres du personnel de l’ambassade pour éviter que les noms des Vietnamiens qui travaillaient avec les Américains ne se retrouvent entre les mains de l’ennemi.

Installés sur une terrasse, M. Crouse et un autre Marine avaient alors passé les fichiers à la broyeuse, regardant les poussières de papier s’envoler dans l’air.

Le 29 avril avant l’aube, M. Crouse avait été témoin des tirs de roquettes ennemis sur l’aéroport Tan Son Nhat, situé à quelques kilomètres de l’ambassade. L’attaque avait tué le caporal Charles McMahon et le caporal suppléant Darwin Judge, les dernières victimes américaines de la guerre du Vietnam.

Des Vietnamiens paniqués s’étaient massés dans l’enceinte de l’ambassade, cherchant désespérément à s’échapper avant la chute de la capitale. Le sergent Nicholas, posté près d’un portail, vérifiait les identités pour déterminer qui serait sauvé ou non. Il méprisait les hommes de préférer la fuite à la défense de leur pays, mais il avait promis sans grand enthousiasme à une serveuse qu’il l’épouserait pour la sauver.

M. Crouse avait alors conduit des dizaines de Vietnamiens réunis dans un poste de police adjacent jusqu’aux hélicoptères qui les transporteraient vers le large, où ils seraient mis en sécurité sur des navires de la Marine américaine.

Lorsque l’ordre d’évacuation est tombé, M. Crouse a rejoint l’ambassade pour aider à faire barrage à des centaines de Vietnamiens qui n’auraient pas d’échappatoire. L’un d’eux a forcé l’entrée au volant d’un camion de pompiers et la foule s’est engouffrée, traquant M. Crouse, M. Nicholas et d’autres Marines jusque sur le toit.

Les Marines ont lancé des grenades à gaz dans les escaliers. Conscient de vivre un moment historique, M. Nicholas voulait attendre le dernier hélicoptère, mais il a finalement été évacué, avec M. Crouse, à bord de l’avant-dernier vol.

Des dizaines d’années plus tard, M. Crouse, aujourd’hui âgé de 65 ans, est retourné en tant que touriste au Vietnam. Alors qu’il visitait une plantation de thé, un vieux Vietnamien lui a demandé quel âge il avait la première fois qu’il était venu au Vietnam – manière détournée de savoir s’il avait fait la guerre. « Dix-neuf ans et demi », a répondu M. Crouse, en retroussant sa manche pour montrer son tatouage des Marines.

D’un même geste, son interlocuteur lui a montré les cicatrices qu’il conservait de sa participation aux combats, alors qu’il était officier dans l’armée du Nord-Vietnam. Des Marines américains l’avaient blessé ; des médecins américains lui avaient sauvé la vie.

L’homme a offert un verre d’alcool de riz à M. Crouse et ils ont trinqué à leur survie.

« C’est le genre de chose que je souhaite vraiment aux gars qui reviennent d’Afghanistan, déclare M. Crouse. Un jour. Un jour peut-être, ils connaîtront cela. »

Kaboul ou la chute de Saïgon ?
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