24 Novembre 2020
A quelques encablures des côtes de Karachi, des "bébés mangroves" s'épanouissent sur une crique isolée de l'île de Bundle. Mais ce paysage de carte postale pourrait disparaître, le gouvernement pakistanais, malgré ses prétentions environnementales, voulant y lancer un gigantesque projet immobilier.
"Laissons la nature se régénérer. Ne rêvons pas de grandes villes", harangue Mahera Omar, une réalisatrice auteure de plusieurs documentaires environnementaux.
"Nous sommes tous fatigués de notre jungle de béton. Nous voulons sortir, à l'air libre, profiter de la brise marine et de la nature", ajoute cette habituée des balades en kayak dans la mangrove, terrain idéal selon elle pour un écotourisme réglementé.
L'exécutif pakistanais en a pourtant décidé autrement. Le président Arif Alvi a signé fin août une ordonnance visant à faire de Bundle et de l'île voisine de Buddo des terres fédérales, afin d'y lancer un ambitieux programme immobilier, évalué à 50 milliards de dollars (42 milliards d'euros).
Un projet similaire doit voir le jour sur la Ravi, la rivière arrosant Lahore (nord-est). Un premier tour de table avec des investisseurs locaux a été réalisé.
La manœuvre surprend de la part du gouvernement d'Imran Khan, jusqu'ici auréolé d'un bilan environnemental plutôt positif.
Le "tsunami au milliard d'arbres", plantés ou régénérés dans la seule province du Khyber-Pakhtunkhwa (nord-ouest) sous l'égide de son parti, a été applaudi internationalement.
Le Premier ministre a ensuite annoncé étendre ce programme à l'ensemble du pays, avec un objectif de dix milliards de nouveaux arbres. La construction de plusieurs centrales à charbon prévue par un accord sino-pakistanais a également été gelée au profit d'énergies renouvelables.
"Nous allons perdre nos emplois. Cela va nous dévaster", se désole Kamal Shah, l'un de leurs porte-parole, depuis le petit port d'Ibrahim Mathri, aux eaux noires et à l'odeur pestilentielle.
Depuis des décennies, Karachi rejette en effet déchets et eaux usées directement dans la mer. "Quand nous étions jeunes, nous jetions une pièce dans la mer. Elle était visible", se souvient-il. "Maintenant, si un homme entre dans l'eau, on le perd de vue."
Le Fonds mondial pour la nature (WWF), par la voix de Rab Nawaz, l'un des cadres de cette ONG au Pakistan, dénonce un "désastre environnemental à venir". "Bundle est un lieu de nidification pour les tortues, les dauphins. Et les mangroves sont des forêts protégées au Pakistan", rappelle-t-il.
"Ce projet est un cauchemar", tonne-t-il. "Parfois, on peut réduire au maximum l'impact environnemental de certaines infrastructures. Mais à Bundle, c'est simplement impossible."
Arif Belgaumi, un architecte et urbaniste, se souvient ainsi être allé sur l'île aux dernières marées hautes d'équinoxe. "J'avais de l'eau jusqu'au torse", commente-t-il. "Donc si vous voulez construire quelque chose ici, il faudra remblayer" le sol de plusieurs mètres sur plusieurs kilomètres carrés, une opération aux coûts environnemental et financier prohibitifs.
D'autant que Karachi, qui a connu cette année un record de précipitations durant la mousson et plusieurs jours d'inondations, n'est pas épargnée par les intempéries. En 2007, une tempête tropicale suivie d'un cyclone avaient fait des centaines de morts dans la ville.
Or les mangroves "forment une barrière contre les tsunamis", observe Arif Belgaumi. Leur préservation est donc d'autant plus "une évidence" qu'elle est "vitale pour la préservation de Karachi." L'urbaniste a également porté plainte contre le projet gouvernemental.